Cette première exposition personnelle à Paris de l'artiste espagnole María Dávila présente une série de pastels centrée sur son enfance et son noyau familial.
Extrait du récit autobiographique Les Mots de Jean-Paul Sartre, le titre "J'avais appris à me voir par leurs yeux" rend compte de l'exercice d'auto-analyse à laquelle elle s'est livrée pour proposer "une approximation visuelle de l'expérience du premier regard comme fondateur de la personnalité". À l'âge où sa mère a donné naissance à son premier enfant, María Dávila a entrepris de revisiter des enregistrements vidéo de cette époque. Après avoir sélectionné "une série de photogrammes traduits en support pictural", elle a cherché à "approfondir essentiellement deux questions clés : d'une part, la recherche des figures maternelles et paternelles avec lesquelles on s'identifie ; d'autre part, cet inévitable clivage du souvenir entre la mémoire de ce qui a été vécu et l'image technique qui la remplace".
Dans ce premier stade de la vie qui précède l'acquisition du langage, la présence des autres conditionne notre propre perception et commence à forger notre caractère sous l'effet de leurs regards. Le ravivement de ce monde familier de visages, de lieux et de sensations déclenche rétrospectivement une reconstruction des faits, des impressions et de l'état d'esprit de ses proches. En reprenant les films de son père réalisés au moyen d'une caméra au rendu aujourd'hui daté, María Dávila prend sa place et se voit à travers ses yeux : et en recréant ses propres images à partir de ces pellicules, elle lui retourne son regard dans une sorte de réflexion sur la filiation, la mimésis et l'altérité.
La série est composée uniquement de scènes d'intérieurs, de corps à contre-jour ou en mouvement, de regards face caméra qui dévoilent la situation du spectateur. Ajouté à la combinaison ou la superposition de plusieurs images d'une même séquence, il s'en dégage une atmosphère étrange et intime, une poésie onirique et spectrale. Ce sentiment de fragilité est intensifié par la technique utilisée - le pastel - en raison de sa texture poudreuse. Contrairement à certaines de ses peintures antérieures, María Dávila a procédé par ajout de couches et de couleurs, en mélange optique, dans une condensation des gestes qui effacent les limites et les contours des formes.
"J'avais appris à me voir par leurs yeux" propose un voyage sensible vers la mémoire de l'enfance. C'est une tentative de faire renaître le passé tout en étant conscient de son impossibilité, de donner à voir ces ombres insaisissables qui semblent se cacher derrière le visible. En rapprochant ces différentes sources - le souvenir, le regard d'autrui, l'image technique, l'oeuvre d'art - María Dávila matérialise cette expérience fondatrice de l'éveil à soi et aux autres afin "de ressusciter une mémoire à la fois vivante et éteinte". À partir de son vécu, elle projette à son tour le spectateur dans sa propre histoire, entre nostalgie et réappropriation, en lui prêtant un regard neuf.