Cette exposition du peintre britannique Ray Richardson s'intitule WALK TALL en référence à l'air entêtant de Cannonball Adderley, comme une injonction à garder la tête haute qui unit les oeuvres présentées.
Depuis les années 90, Ray Richardson met en scène dans une atmosphère singulière son vécu, et son quartier de Woolwich au Sud-Est de Londres, centre névralgique de son oeuvre qui comprend aussi des endroits comme le littoral anglais, la Normandie, Paris, Ostende, Bruxelles, New York, Chicago, Seattle, Los Angeles, Tokyo : "[Mon travail] porte souvent sur la vie, la classe sociale et sur le fait de l'envisager de manière cinématographique, comme une photo tirée d'un film dans mon cas. Je pense que nous sommes rongés par la classe sociale en Angleterre. On veut maintenir les gens à leur place tout en leur faisant croire qu'ils ont une chance, ce que beaucoup n'auront jamais."
Bordant la Tamise, cette banlieue populaire en cours de gentrification offre un décor authentique avec ses docks, le Woolwich ferry et le tunnel piétonnier qui relient les deux rives du fleuve, ses parkings et ses pubs. L'histoire des lieux se confond avec celle de ses personnages. C'est un monde d'hommes, rouflaquettés et gominés, plus ou moins cools, qui aiment fanfaronner. En meute, seul ou avec l'emblématique English Bull Terrier, "the King of Dogs", "the supreme K-9 kommanders", comme l'écrit James Ellroy dans un texte consacré à l'artiste.
La vie ordinaire est un spectacle que Ray Richardson semble extraire d'un film, en transposant "une façon cinématographique de voir les choses" dans une grande richesse chromatique. Cadrages audacieux, longs formats étirés, personnages décentrés, gros plans, vues en plongée ou en contre-plongée dynamisent l'organisation spatiale de ses compositions. Sa peinture se nourrit aussi de la tradition de l'histoire de l'art, de l'instantanéité propre à la photographie de rue, de la noirceur des polars, de l'imagerie Mod revival et Casual, rythmée par une bande-son Jazz, Soul, Funk, Rock.
Son sens de la formule visuelle se double d'une verve littéraire percutante, inscrite dans ses titres qui mélangent expression populaire, argot cockney et emprunt musical pour mieux déclencher une étincelle, une émotion, un questionnement, une tension narrative… L'oeuvre de Ray Richardson est littéralement "imagée", à mi-chemin entre description d'un microcosme sociologique, jeu sophistiqué sur les codes de la peinture et réflexion métaphorique sur la condition humaine. Elle montre autant qu'elle sous-tend, de façon parfois très inattendue, un commentaire drôle ou cinglant. WALK TALL traite du vivre-ensemble (Today's Special), de l'espoir de jours meilleurs (Herbie Hancock, Silver Linings, Double Treble Top), de la nécessité de se satisfaire de sa condition (Sailors Fighting in the Dancehall, Vivre pour vivre), du travail de peintre (Performancedup, Same Meat Different Gravy, All Around the World). Comme de réflexions plus désabusées sur le système de classe britannique : Just Got Lucky évoque la loterie de la naissance, Out to Lunch l'écart entre monde bourgeois et milieu ouvrier, The Man Who Wouldn't Be King la difficulté croissante pour les gens ordinaires de s'en sortir par des moyens autres que la boxe, le foot, le showbiz ou pire.
WALK TALL comme le "King of Dogs", l'alter ego du peintre et la voix de la raison dans un monde qui en manque. A working class hero is something to be.